Nous publions ce post à mode de divulgation de la histoire de la sérigraphie et arts graphiques en général.
Extrait de la publication de la revue le Tamis de 1967.
Comme nos lecteurs le savent, Mr. E.J. Kyle se rendra à Amsterdam début janvier pour y parler d'une nouvelle méthode d'impression de demi-tons à l'aide de châblons indirects.
Cet article est une introduction.
L'auteur examine ce qui a déjà été fait dans ce domaine. Dans le numéro de janvier nous publierons le texte de sa conférence et dans les numéros de février et de mars, E.J. Kyle indiquera les possibilités de sa méthode et il donnera aux lecteurs de nos revues tous les renseignements dont ils ont besoin pour appliquer le procédé.
I- OU EN EST-ON AUJOURD'HUI?
Une chose que le développement incessant de la sérigraphie nous a apprise, c'est d'éviter de dire qu'une technique est impossible parce que le procédé ne semble pas en mesure de l'appliquer.
Bien des Idées arrêtées ont eu cours dans le passé concernant les limites supposées de la sérigraphie, et l'une des plus tenaces fut que le procédé ne convenait qu'à l'impression d'aplats sur des surfaces bien déterminées.
Ceux qui critiquent le procédé à l'écran ont toujours été capables de faire ressortir avec évidence ce qui, dans le procédé. pouvait appuyer cette opinion. ils prétendent que l'impression de demi-tons en sérigraphie n'est que le résultat de l'impression de nombreuses petites surfaces de couleurs pleines en contrôlant leur dimension, pour créer l'illusion de tons dans la reproduction. Il n'y a pas de bon argument contre cette assertion parce qu'essentiellement elle est fondée; on peut dire la même chose des autres procédés d'impression qui utilisent les demi-tons.
Il y a de nombreuses manières de définir ce qu'on entend par «reproduction de tons a modelé continu». On peut dire «demi-tons sans points» et cette définition suffit pour commencer. Sur cette base, avec les vues étroites d'il y a peu d'années, on pouvait affirmer catégoriquement que la sérigraphie n'est pas faite pour cette forme de reproduction.
Aujourd'hui, nous en savons plus, particulièrement en Europe, où des expériences ont été effectuées d'impression en sérigraphie de tons à modelé continu et où cette méthode a été mise au point depuis un certain nombre d'années. Je reviendrai plus tard sur ces perfectionnements et sur la qualité de reproduction à laquelle on est parvenu. Tout d'abord, il est utile d'examiner de plus près la structure véritable de ce que volt l'œil comme tons à modelé continu. Il est assez important de comprendre la réalité quant a ce que nous pensons voir, si cela nous aide à trouver le principe de reproduction convenable de tons à modelé continu.
De véritables tons à modelé continu donnent aux teintes un rendu uni et lisse. Très peu de photographies ont cette qualité, surtout quand la prise de vue est très nette, parce que la plupart des objets et des surfaces sont d'un caractère rugueux et granulé. La nature, souvent, crée des changements de tons très doux dans le ciel, mais la plupart du temps ce sont les objets a surface unie qui montrent le mieux ce qu'on entend par tons à modelé continu.
Mais en réalité, c'est une illusion. et c'est la photographie qui est le meilleur exemple pour nous en donner la preuve. Supposons que nous photographions un sujet avec de très bons tons ' à modelé continu, par exemple des surfaces unies dont les teintes passent avec douceur des ombres aux hautes lumières.
Nous utilisons un film pour tons à modelé continu, à grain fin, de vitesse moyenne, et à partir du négatif, nous faisons une impression convenant pour une reproduction de demi-tons de qualité supérieure, comme pour une illustration de magazine sur papier de bonne qualité. La photographie semble avoir de parfaits tons à modelé continu.
Mais si nous faisons un agrandissement, de plusieurs fois la dimension du négatif, des grains apparaîtront. Ces grains se trouvent dans l'émulsion et nous devons tenir compte qu'ils font partie de sa composition. Avec des émulsions très rapides, le grain est plus grossier. Avec des émulsions plus lentes et en utilisant un révélateur pour fine granulation, le grain se remarque beaucoup moins mais existe quand même.
Tous les sérigraphes le savent et je semble peut-être affirmer l'évidence; mais je retourne a mon sujet, passant de la photographie à la reproduction des tons a modelé continu comme méthode d'impression, et précisément par la sérigraphie. Ensuite, je retournerai a la photographie, mais ce sera sous des formes particulières adaptées aux besoins du procédé de reproduction. J'ai fait ressortir que des grains existent là où l'oeil voit des tons à modelé continu: c'est le principe essentiel d'une théorie s'adressant à deux formes de sérigraphies aux tons à modelé continu, a laquelle je me rapporterai dans ces articles.
La reproduction de tons a modelé continu, de telle manière que les valeurs des tons et les détails de l'original puissent être imprimés sans granulation visible ni points, est une réalisation longtemps convoitée. Au tout premier âge de la photographie. Henry Fox Talbot, en Angleterre, s'attela à la recherche d'un moyen pour reproduire des photographies par un procédé d'impression.
Fox Talbot était un photographe, et ce qu'il désirait réellement, c'était un procédé capable de reproduire les qualités d'une photographie avec la rapidité et l'économie des presses de l'imprimerie. Mais comme nous le savons, les travaux de Fox Talbot furent suivis par les débuts du développement du procédé des demi-tons, auquel ont pris part des noms fameux. Leurs travaux réunis ont abouti à ce que l'imprimerie en général a eu à compter sur le procédé de demi-tons pour la reproduction des originaux aux tons à modelé continu.
Collotype est probablement le premier procédé d'impression très proche de le reproduction des tons à modelé continu et si nous en examinons des exemples nous trouvons une structure granulée très distincte qui rend compte du mécanisme du procédé. Mais collotype est un procédé délicat qui demande une haute qualification ; aussi. ne convient-il qu'à de petits tirages. L'offset et la sérigraphie ont toutes deux servi à la réalisation de reproductions de tons à modelé continu. Il est difficile d'établir lequel des deux procédés peut prétendre avoir été le premier. Apparemment. les informations semblent indiquer que ce soit la sérigraphie. mais comme il y a eu beaucoup d'innovations dans de nombreux domaines, les détails recueillis ont souvent été précédés d'expériences antérieures avec des résultats isolés qui n'étaient pas connus au moment même. Aussi, est-il très peu aisé de connaître la vérité.
Pour savoir quelque chose des antécédents de l'impression en sérigraphie des tons a modelé continu, j'ai écrit récemment à Hans-Peter Haas dont j'ai suivi les travaux avec grand intérêt depuis plusieurs années et a qui j'ai eu le plaisir de rendre visite à Stuttgart en septembre dernier. Il m'avait remis un certain nombre d'exemplaires de ses excellentes sérigraphies de tons a modelé continu (impressions par étapes) et fins trames en monochromie comme en polychromie. Ayant eu ainsi l'occasion d'examiner de près ces exemplaires, des questions me sont venues à l'esprit, auxquelles je n'avais pas pensé au moment de l'interview. M. Haas y a répondu avec amabilité en acceptant que ces renseignements contribuent à la rédaction de cet article.
Il dit qu'il est difficile de prouver quel imprimeur sérigraphe, le premier, a appliqué la méthode par étapes, mais il y a 10 ou 12 ans environ que quelques sérigraphes, dans plusieurs pays, d'abord en Europe, ont expérimenté cette technique. La plupart étaient des imprimeurs sérigraphiques qui se servaient déjà de la photographie ou de la reprophotographie, et cela explique leur emploi de diapositives pour la sélection des teintes devant être imprimées par superposition. Une diapositive était faite pour chaque impression.
M. Haas dit qu'il a vu pour la première fois, en 1956, la technique de l'impression par étapes utilisée par le pionnier danois de la sérigraphie Harry Busse, de Copenhague. Il fut très impressionné par cette technique de reproduction graphique. mais il trouva qu'avec cette méthode d'impressions. la reproduction était trop nette et les gradations des teintes trop tranchées. Hans-Peter Haas accorda plus de réflexion au problème de la reproduction des demi-tons par la sérigraphie en se passant de trame. il fit sa première impression par étapes en 1958. C'était une reproduction 1/1 d'une photographie en noir et blanc d'un portrait de grande dimension qu'il avait peint à l'huile. L'impression par superposition fut faite sans avoir fait d'abord d'expériences, mais à ce moment il avait déjà beaucoup réfléchi à cette technique.
Les sérigraphes qui se sont de bonne heure intéressés à la technique de Haas connaissent l'essentiel de cette méthode d'impression par étapes qui a été décrite avec la parution d'une de ses sérigraphes que je vis pour la première fois il y a 8 ans. Pour une reproduction monochrome, il n'utilise qu'une diapositive de l'original; celle-ci a des tons à modelé continu. A partir de cette diapositive, il fait une série d'expositions répétées, dont il fait de chacune d'elles un châblon direct distinct, sur fine toile: ainsi a-t-il un châblon pour chaque impression superposée, en quoi il partage la gamme des tons de l'original.
La lumière passant à travers la diapositive sur le châblon direct agit, avec |'insolation la plus courte, en premier lieu dans les zones de hautes lumières; ensuite, avec chaque insolation, de plus en plus longue, l'action de la lumière s'étend à travers la gamme des tons jusqu'à ce que les ombres soient atteints. L'insolatlon la plus courte produit le châblon avec la plus grande surface d'impression, dans les régions les plus claires. L'insolation la plus longue produit le châblon avec la plus petite surface d'impression, comprenant les détails d'ombre. L'impression en sérigraphie commence par la plus petite surface : ensuite, chaque étape est surimprlmée en surfaces de plus en plus grandes, en utilisant des encres très transparentes.
Le résultat, en tons à modelé continu, provient de deux actions. Premièrement, quand on confectionne les châblons, les passages d'un ton à l'autre ne se font pas brusquement comme dans une impression par superposition normale, Là où la densité augmente dans la diapositive, la lumière transmise est réduite. Les bords atténues de l'émulsion, secondée par la fine toile, sont changés en points très fins, lors du dépouillement.
La seconde action a lieu lors de l'impression. Les encres sont si transparentes que chaque impression effectuée sur papier blanc est d'une tonalité claire. Ce l'est particulièrement pour les dernières étapes et celles des hautes lumières ou, selon l'original, les encres peuvent être extrêmement transparentes, Du fait que les impressions sont transparentes, les tons deviennent plus foncés avec chaque surimpression.
Donc pour un travail a six étapes, les ombres les plus profondes sont le résultat des six impressions, mais aux bords des hautes lumières il n'y a qu'une seule impression et les grains surimprimés aux bords des superpositions produisent des douces gradations de tons.
Hans-Peter Haas affirme que pour ses premiers travaux il avait besoin de 8 à 10 impressions superposées pour des reproductions monochromes, mais à présent il obtient le résultat voulu avec 4 ou 5 impressions seulement.
Ne se contentant pas de ses réalisations dans les reproductions monochromes. Hans-Peter Haas a adapté le principe de la méthode par étapes aux reproductions quadrichromes. Travaillant á partir d'une photographie en couleurs, comme original, il imprimait en juin 1964 «Rote Blume» (Fleurs rouges), en une édition de 450 exemplaires, et de nouveau. c'était sans essais préalables.
Quant à la valeur pratique de l'impression par superposition. M. Haas écrit:
«Pour l'impression de travaux publicitaires la méthode par étapes est inéconomique: pour la reproduction de tableaux l'applique cette méthode, depuis des années, avec grand succès.» Ces quelques notes à propos des antécédents de l'impression par étapes et de son évolution jusqu'à la très grande qualité actuelle des réalisations de Hans-Peter Haas. sont d'un intérêt tout particulier, parce qu'elles concernent un domaine de progrès en sérigraphie, auquel un autre développement peut s'ajouter dans un proche avenir.
Il y a quatre ans environ, tandis que j'effectuais les premières opérations photographiques pour reproduire des demi-tons, j'observais des résultats qui sont appliqués maintenant dans un but différent. L'utilisation de cette action est le principe d'une méthode d'impression par étapes qui combine un moyen photographique différent avec les méthodes d'impression utilisées par Hans-Peter Haas. Elle laisse prévoir l'impression en sérigraphie de tons à modelé continu en utilisant des châblons indirects.